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L’anesthésie fait souvent peur et est utilisée comme bouc émissaire lors de mortalité péri-chirurgicale. La mortalité est souvent utilisée comme indice du succès anesthésique, alors que c’est l’absence de complications qui devrait être utilisée. Malheureusement, il n’y a pas d’anesthésie totalement sécuritaire. Il est donc important de comprendre quels sont les facteurs qui peuvent mettre la vie du patient en danger pour réduire le risque.
Éléments clés :
- Risque de mortalité de l’ordre de 0.05-0.1% pour les animaux en bonne santé. Le taux de complication est bien plus haut.
- La majorité des mortalités ont lieu au réveil et pendant le maintien de l’anesthésie, quand la surveillance est moins rigoureuse.
- Les principaux facteurs de risque de mortalité sont : l’état de santé (Statut ASA), l’âge, l’absence de surveillance, certaines races et l’intubation endotrachéale chez le chat.
- La mort est loin d’être la seule complication de l’anesthésie. Les principales sont : l’hypotension, l’hypothermie, l’hypoxémie et l’hypoventilation.
- Les autres complications rapportées sont : les régurgitations, les pneumonies par aspiration, les ulcères cornéens et la perte de vision chez les chats.
- La douleur mal gérée peut aussi mettre la santé du patient en danger.
Risques de mortalité
De nombreuses études ont rapporté différents taux de mortalité en médecine vétérinaire. Il est de l’ordre de 0.05 à 0.1% pour les chiens et chats en bonne santé, mais de l’ordre de 1-2% s’ils sont en mauvais état général. Il est aussi important de considérer que le risque est similaire pour les sédations et les anesthésies. Les facteurs de risque les plus souvent rapportés sont : le risque ASA, l’âge, l’absence de monitoring, l’intubation trachéale chez le chat, et certaines races.
Périodes à risque
L’induction et le réveil sont les périodes classiquement considérées à risque pour le patient. Cependant, la majorité des mortalités surviennent pendant la période postopératoire (50-60% dans les 48 heures postopératoires, la majorité dans les 3 heures postopératoires), et le maintien (30-40%). L’induction ne représente que 6-8% des mortalités. Cela ne veut pas dire que l’induction et le réveil ne sont pas à risque. Pendant ces périodes, la vigilance de l’équipe est souvent meilleure, ce qui permet à l’équipe d’intervenir avant que les complications ne soient dangereuses pour le patient.
Le statut ASA
Le statut ASA (pour American Society of Anesthesiology) représente l’état de santé du patient, sur une échelle de 1 à 5 (voir table 1). C’est un outil pour réfléchir au cas et à l’impact que l’état de santé pourrait avoir sur l’anesthésie. La complexité de la chirurgie n’intervient pas dans le risque ASA, mais il faut quand même connaître les risques reliés à la chirurgie, notamment en terme de perte de sang et de durée.
Un patient sous anesthésie est vulnérable à certains dangers causés par la chirurgie et les manipulations. Un exemple connu est la cécité post-anesthésie chez des chats dont la gueule a été ouverte trop grande trop longtemps à l’aide d’un ouvre-gueule, ce qui est causé une ischémie cérébrale. Un patient avec un statut ASA supérieur à 2 est 10 fois plus à risque et mérite de recevoir plus d’attention pendant l’anesthésie, voire de faire appel à un anesthésiste. Le risque est aussi plus élevé pour les patients anesthésiés en urgence qui sont souvent vus en dehors des heures lorsque le personnel est plus fatigué et/ou en nombre insuffisant, et moins bien stabilisé que les autres cas.
ASA | Description physique | Exemples |
---|---|---|
1 | Patient normal sans maladie | Patient en bonne santé pour castration |
2 | Patient avec maladie systémique légère ou localisée qui ne limite pas la fonction normale | Tumeur de la peau, fracture, hernie non compliquée, infection localisée |
3 | Patient avec une maladie sévère qui limite la fonction normale | Fièvre, déshydratation, anémie, cachexie, hypovolémie modérée |
4 | Patient avec une maladie systémique sévère qui menace sa vie à tout moment | Urémie, toxémie, déshydratation sévère et hypovolémie, maladie cardiaque décompensée. |
5 | Patient moribond qui ne survivra pas 24h sans chirugie | Choc, insuffisance multi-systémique, sepsis, trauma sévère |
E | Patient en urgence sans bilan permettant de classifier le statut ASA | Torsion-dilatation gastrique, détresse respiratoire. |
L’âge
Indépendamment de leur état de santé, les patients âgés sont plus à risque. Bien que l’âge ne soit pas une maladie, les patients âgés ont des réserves physiologiques réduites et sont donc moins capables de compenser les effets de l’anesthésie. De plus, ils ont souvent des maladies concomitantes qui peuvent interférer avec les anesthésies.
L’absence de monitoring
Une des études rapporte que les patients chez qui une surveillance du pouls et de l’oxymétrie de pouls sont faites sont 5 fois moins à risque que les patients qui ne sont pas surveillés. Des études en médecine humaine ont aussi démontré que l’utilisation conjointe d’un capnographe et d’un oxymètre de pouls peut prévenir jusqu’à 93% des complications anesthésiques. En médecine humaine, l’hypotension est un facteur de risque de mortalité. Il est donc fortement recommandé d’avoir du personnel dédié à la surveillance pendant l’anesthésie et des appareils incluant au moins un oxymètre de pouls, un capnographe, un ECG, un appareil de mesure de pression et la mesure de la température corporelle. Un signal audible devrait être présent.
L’intubation endotrachéale chez le chat
L’intubation endotrachéale a été rapportée comme étant une procédure à risque chez les chats. Leurs voies respiratoires sont plus petites et plus sensibles aux traumas, spasmes et œdèmes que celles des autres espèces. Ces résultats ne devraient pas être utilisés comme excuse pour ne pas intuber les chats, car il est important de sécuriser les voies respiratoires. Il faut cependant faire attention lors de l’intubation et utiliser des tubes endotrachéaux adaptés. La trachée des chats est aussi fragile. Il faut faire attention en gonflant le ballonnet du tube endotrachéal et en manipulant le tube endotrachéal, car des ruptures de trachée ont été rapportées. Les masques laryngés pourraient être une alternative pour les procédures de courtes durées.
Races et tailles
Une augmentation du risque anesthésique a été rapportée pour les chiens et chats de petite taille. Ils sont plus sensibles à l’hypothermie et il est facile de leur administrer une surdose (mauvaise estimation du poids, et erreurs de mesure lors de la préparation de petit volume) et la gestion des difficultés périopératoires est plus délicate (cathéter, intubation). L’obésité a aussi été rapportée comme un facteur de risque chez les chats. Ces animaux ont plus de problèmes de ventilation et la gestion des difficultés périopératoires est aussi plus délicate. Certaines races ont été citées comme étant plus à risque, notamment les animaux brachycéphaliques et les terriers, mais une partie du risque est reliée à leur petite taille.
Autres facteurs de risques
Certaines drogues ont été rapportées comme étant plus à risque, mais ces drogues sont très rarement utilisées de routine de nos jours (notamment la xylazine pour les chiens et chats, et l’halothane). Par contre, même si les drogues utilisées actuellement n’ont pas été rapportées comme étant plus à risque, il faut quand même les utiliser judicieusement.
L’induction au masque est un exemple de pratique à risque. Cela est considéré comme étant plus stressant, plus long et moins contrôlé comparé aux agents injectables. De plus, si ce n’est pas fait sous surveillance (car le TSA fait autre chose, comme raser le patient), le patient est à risque d’être exposé à une surdose causant des complications (hypotension, hypoxémie, hypoventilation voire mort). Enfin, l’induction au masque participe à la pollution de l’air par les agents anesthésiques. Il est donc déconseillé d’induire au masque.
Risque d’autres complications
La mortalité n’est pas le seul risque associé à l’anesthésie. Classiquement, on considère que toute anesthésie peut causer une hypothermie, une hypotension, une hypoventilation et/ou une hypoxémie. D’autres complications peuvent survenir pendant l’anesthésie, notamment les pneumonies par aspiration, les régurgitations et les ulcères cornéens. Cependant, seul un nombre limité d’études a rapporté ces risques. La fréquence des risques peut varier selon la population étudiée (différentes races, procédures, habitudes).
La fréquence de l’hypothermie dans une étude est de 92% chez les chiens et 98% chez les chats. Les facteurs de risque sont : les chirurgies majeures (orthopédie et abdominale), le statut ASA, les procédures diagnostiques, la durée de l’anesthésie et la position du patient (dorsale et latérale plus à risque).
La fréquence de l’hypotension pendant les anesthésies pourrait atteindre jusqu’à 63% chez des animaux en bonne santé. De nombreux facteurs peuvent influencer la pression, notamment l’état de santé cardiovasculaire du patient, l’obésité, le choix des drogues et la procédure chirurgicale. En médecine humaine, la gestion de l’hypotension améliore le pronostic postopératoire et diminue le taux de complications.
La fréquence d’autres problèmes associés à l’anesthésie a été rapportée. L’incidence des pneumonies par aspiration est de l’ordre de 0.1 à 4.5% selon les études. Le type de procédures, la présence de déficits neurologiques, la durée d’anesthésie et la présence de régurgitation ou vomissement ont été cités comme des facteurs de risque. La fréquence des régurgitations pendant l’anesthésie est de l’ordre de 0.4 à 5%. Celle des reflux gastrooesophagiens est de l’ordre de 16.3 à 55%. Les facteurs de risques de reflux sont la durée de la procédure, les chirurgies abdominales et certaines drogues. Les facteurs de risque de régurgitation sont les chirurgies orthopédiques et le surpoids. Avec un risque aussi haut, il est important d’intuber les patients pour protéger les voies respiratoires supérieures.
Les animaux anesthésiés peuvent aussi souffrir d’ulcères cornéens, car les paupières ne peuvent faire leur rôle de protection physique et d’étalement du film de larme. La fréquence rapportée des ulcères cornéens est de 1.9%. Les facteurs de risques sont la durée de l’anesthésie, la conformation du crâne (petit crâne plus à risque), les chirurgies neurologiques et la présence d’un patch de fentanyl.
La douleur est probablement un facteur de risque de mortalité et autres complications, mais aucune étude n’a exploré l’impact de la douleur sur les complications anesthésiques. En théorie, si un patient reçoit une dose adéquate d’analgésie, il peut être maintenu à un plan d’anesthésie plus léger, donc des fonctions vitales plus stables, un réveil de meilleure qualité et plus rapide, et une sortie de l’hôpital plus rapide. De plus, la douleur en elle-même cause des modifications physiologiques qui sont dangereuses pour le patient.
Conclusion
La mortalité pendant l’anesthésie est rare, mais les complications associées à l’anesthésie ne le sont pas. Il est donc important de surveiller de près tous les patients afin de traiter les complications le plus tôt possible, avant qu’elles ne causent des problèmes à long terme sur l’état de santé du patient.
Article écrit par
Dr. Truchetti Geoffrey, DMV, MSc, DES, DACVAA
Dr. Geoffrey Truchetti est vétérinaire depuis 2009. Il a terminé une résidence en anesthésie et analgésie à Saint-Hyacinthe (Québec) en 2013 et est diplomate du collège américain d’anesthésie et d’analgésie vétérinaire … [lire la suite]